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ni l’un ni l’autre. Peu de gens sont tout à fait bons ou tout à fait mauvais. C’était une de ces nullités comme il y en a tant. Industriel enrichi, sa fortune lui donnait une certaine importance aux yeux des gens médiocres. Il s’était marié jeune et, sans rendre précisément sa femme malheureuse, il l’avait beaucoup négligée, surtout à partir du jour où il était devenu riche. Il aimait à s’amuser, et son argent mettait à sa portée les plaisirs faciles. Pauvre, il eût été sans doute un homme rangé et un bon époux. Sa femme était morte sans lui laisser d’enfant, et il n’avait pas jugé nécessaire de se remarier. Maintenant il regrettait parfois la vie de famille, le bon fauteuil au coin du foyer tranquille, les habitudes calmes et régulières. Mais c’était là seulement un effet de son égoïsme : il vieillissait, et la vie qu’il menait n’était plus guère faite pour lui.

Madame Després s’étonnait souvent du peu d’intérêt qu’il semblait prendre à l’avenir de sa nièce. Elle n’en aimait que davantage la jeune fille. « Pauvre enfant ! se disait-elle, je la plains ; rien ne remplace l’amour d’une mère. »

Lucienne s’enfonçait de plus en plus dans des rêveries sans fin, elle avait des distractions incroyables, répondait tout de travers à ce qu’on lui disait, et souvent ne répondait pas du tout.

— Tu habites dans la lune ! lui disait Jenny fâchée de la voir s’intéresser si peu à sa conversation.

Cependant le fameux dimanche était passé, et,