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IX


Une vie singulière commença pour Lucienne, vie de tortures et de délices. Lorsqu’elle était seule, le sentiment de sa situation l’affolait de douleur et elle prenait mille résolutions sinistres qui fuyaient de son esprit en présence d’Adrien. Dès qu’il paraissait, toute volonté l’abandonnait ; elle se sentait envahie par une émotion souveraine contre laquelle elle ne pouvait lutter. Elle avait aimé Adrien lorsqu’il était froid et en apparence indifférent ; que faire contre lui, maintenant que, plein de passion et d’amour, il usait de toute son éloquence et de toutes les séductions de sa beauté pour se faire adorer ? Elle voulait le repousser, lui dire qu’il ne pouvait l’avoir pour femme, que c’était impossible ; mais ce beau regard tendre et tyrannique déformait les paroles sur ses lèvres et changeait les refus en aveux.

Elle retardait l’instant du supplice. Lorsqu’on est son propre bourreau, on ne se hâte pas de frapper.

« Tant que l’air sera tiède et le ciel pur, se disait-elle, il restera ici. Ensuite, il faudra partir ou s’expliquer. J’ai donc encore quelques semaines à vi-