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La cérémonie allait commencer ; les groupes se dispersèrent. Ahmed-ben-Kaddour se leva et passa dans la cour du haouch, espèce de patio espagnol entouré d’arcades ; là, il me fit asseoir à côté de lui, sur un tapis d’honneur, avec M. Bourbaki et mes deux compagnons.

Cette cour, assez vaste, entourée par des bâtiments à toits plats et crépis à la chaux, s’éclairait bizarrement par des bougies et des lampes placées à terre auprès des groupes. Le ciel, d’un indigo sombre, s’étendait au-dessus comme un plafond noir tout dentelé par des files de spectres blanchâtres posés ainsi que des oiseaux de nuit sur le rebord du toit. On eût dit un essaim de larves, de lémures, de stryges, d’aspioles et de goules attendant la célébration de quelque mystère de Thessalie ou l’ouverture de la ronde du sabbat. Rien n’était plus effrayant et plus fantastique que ces ombres muettes et pâles suspendues au-dessus de nos têtes dans l’immobilité morte de créatures de l’autre monde. C’étaient les femmes de la tribu qui s’étaient rangées sur les terrasses pour jouir à leur aise de l’horrible spectacle qui allait avoir lieu.

Les aïssaoua s’étaient accroupis au nombre d’une trentaine environ, autour du mokaddem ou officiant, qui commença d’une voix lente et monotone à réciter une