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mane, mais nous en raconterons un qui a trait à la scène que nous allons décrire.

Un jour, Sidi-Aïssa, suivi de quelques frères, était allé faire une visite dans un douar assez éloigné. Pendant la route, souffrant de la faim, les disciples demandèrent plusieurs fois de la nourriture au marabout, qui, impatienté, leur répondit :

— Eh bien, mangez du poison.

Les khouan, habitués à prendre les paroles d’Aïssa au pied de la lettre, ramassèrent des scorpions, des crapauds, des serpents, des vipères et autres bêtes venimeuses, et s’en rassasièrent comme des mets les plus délicats.

Arrivés au douar, ils ne touchèrent point au repas qu’on leur offrit, et ils dirent à Sidi-Aïssa que, d’après son ordre, s’étant nourris de poison, ils n’avaient plus faim. Pour les récompenser de leur foi, le marabout leur accorda dès lors le privilége d’être à l’abri de tout venin, et ce privilége s’étendit au reste de l’ordre et s’est perpétué jusqu’à nos jours.

Mouleï-Ismaël, sultan du Maroc, qui n’était pas en bons rapports avec le saint marabout, dont les miracles éclipsaient sa puissance, voulut servir aux disciples d’Aïssa un plat de sa façon, et il fit remplir une énorme