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molation de la victime, les khouan hésitèrent et sentirent chanceler leur foi. Un d’eux, cependant, se détacha de la masse et vint au maître, qui le fit entrer dans la maison et agit avec lui comme avec le premier. Malgré les flots de sang qui coulaient dans la rue, trente-huit disciples se décidèrent à se soumettre aveuglément à la volonté du marabout, et reçurent chacun un mouton pour récompense, au lieu de la mort qu’ils attendaient.

Le bruit se répandit bientôt par la ville de Meknès que Sidi-Mhammet-ben-Aïssa égorgeait ses khouan ; l’autorité intervint, l’on enfonça la porte, et l’on trouva les trente-huit moutons tués. — Ce petit nombre de disciples dévoués jusqu’à l’absurde, jusqu’à l’atroce, suffit à l’illuminé pour fonder son ordre, qui devint bientôt fort nombreux. Bizarre remarque à faire, Aïssa chez les musulmans est le nom de Jésus. Aïssaoui au singulier, aïssaoua au pluriel veut littéralement dire jésuite. De plus, le marabout posait comme règle de son ordre, le perinde ac cadaver d’Ignace de Loyola.

Nous ne rapporterons pas ici les miracles de la pluie, de la hache, de la pièce d’argent, de la femme changée en négresse, de la touffe de poils blancs et vingt autres prodiges accueillis sans critique par la crédulité musul-