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n’en font pas le moindre cas. Pourtant elle m’a souvent produit des effets d’incantation extraordinaires avec ses quarts de ton, ses tenues prolongées, ses soupirs, ses notes ramenées opiniâtrement ; ces mélodies frêles et chevrotantes sont comme les susurrements de la solitude, comme les voix du désert qui parlent à l’âme perdue dans la contemplation de l’espace ; elles éveillent des nostalgies bizarres, des souvenirs infinis, et racontent des existences antérieures qui vous reviennent confusément ; on croirait entendre la chanson de nourrice qui berçait le monde enfant. — Si j’ai compris jamais les effets prodigieux que les historiens rapportent de la musique grecque, dont le secret est perdu pour les civilisations modernes malgré les efforts de quelques musiciens érudits, c’est en écoutant ces airs arabes dédaignés par messieurs de la fugue et du contre-point, et qui ont valu à l’ode-symphonie du Désert la plus rapide et la plus enthousiaste vogue musicale de notre temps.

Mais laissons de côté cette dissertation qui nous ferait passer pour un sauvage auprès des amateurs d’ariettes et de cabalettes sur le patron rossinien, et revenons au but de notre récit, à savoir les aïssaoua.

Avant de décrire les effroyables cérémonies des aïs-