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musiciens ; immobiles, les yeux baissés, ne faisant d’autre mouvement que ceux indispensables pour le placement des doigts sur les trous, ils nous jouèrent sur une tonalité très-élevée une cantilène qui rappelait beaucoup la danse des almées de Félicien David. Les broderies des deux flûtes semblaient s’enlacer autour du motif principal comme les serpents autour du caducée de Mercure ; qu’on nous passe cette comparaison mythologique, ou, si elle paraît trop surannée, comme deux de ces spirales laiteuses qui montent en sens inverse dans le pied des verres de Venise.

C’était étrange et charmant. La pose des musiciens, la forme de l’instrument, la nature de la mélodie, l’auditoire groupé dans ses draperies bibliques, tout reportait l’imagination au temps de l’antiquité la plus reculée, aux souvenirs de ce monde primitif disparu à jamais. Apollon, condamné à garder les troupeaux d’Admète, devait charmer les ennuis de son exil en jouant un air analogue sur un pipeau absolument pareil, et sa tunique faisait, à coup sûr, les mêmes plis.

Les compositeurs de profession trouvent la musique des Orientaux barbare, discordante, insupportable ; ils n’y reconnaissent aucun dessin, aucun rhythme, et