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Le lit du Rhône est plus profondément creusé que celui de la Saône ; la tranchée qu’il s’ouvre vers la mer sépare en deux de hautes collines d’abord, des montagnes ensuite. — Sur ces pentes, chauffées par le soleil méridional, mûrissent le vin de Côte-Rôtie et celui de l’Ermitage. Le mont Pilat se présente et disparaît. — Tournon et son château en ruine restent bientôt en arrière. Déjà le mont Ventoux dessine sa croupe à l’horizon lointain. L’Isère verse ses eaux d’un gris sale dans le Rhône, dont la rapidité s’accroît en raison des affluents qu’il absorbe. — Cette ville, c’est Valence ; ces murailles effondrées perchées sur le haut d’un roc inaccessible, ce burg qui ne serait pas déplacé sur les rives du Rhin, c’est le château de Crussol.

Le Rhône est une espèce de Rhin français ; ce que les guerres et les années ont émietté de châteaux et de forteresses dans cette onde qui ne s’arrête jamais est vraiment prodigieux ; à chaque instant, une tourelle ébréchée, un pan de rempart démantelé s’ébauche dans un rayon de lumière ; un reste d’enceinte gravit en zigzags désordonnés les flancs d’un tertre abrupt ; une poterne s’ouvre en ogive sur le cours du fleuve ; les villes mêmes, à part quelques rares taches de maisons blanches, ont conservé l’aspect qu’elles devaient avoir