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premier jour une ordonnance de voirie, s’est juché un taudis arabe le plus étonnant du monde ; rien n’est d’aplomb dans cette cahute composée des éléments les plus hétérogènes, cailloux, gravats, pisé, bouts de planche, ossements d’animaux, le tout barbouillé de quelques truellées de plâtre. L’intérieur, où l’œil plonge librement de la rue, ferait tomber Eugène Isabey en extase. — Ses plus chaudes esquisses d’alchimiste courbé sur le grand œuvre paraissent froides auprès de ce sublime bouge algérien ; les murs sont culottés, par une fumée perpétuelle, de glacis de terre de Sienne, de momie ou de bitume, comme il n’en existe que dans les tableaux de Rembrandt et de Dietrich ; un reflet de feu livrant bataille à un rayon de soleil, éclaire un angle de l’antre. Le maître de ce splendide établissement est un rôtisseur-friturier-restaurant, à l’usage des naturels du pays. — C’est le Borrel, le Véfour, le Véry des Arabes. Des quartiers de viande d’un aspect charogneux se balancent à la devanture, d’où coulent des cascades d’entrailles ; ce qui n’empêche pas les Bédouins de trouver fort appétissants les mets qui se cuisinent dans ce repaire, noir de suie et rouge de sang.

À quelques pas de là, l’Europe vous reprend ; vous pouvez vous croire à Paris ou à Marseille. Voilà les