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doute ; car les Orientaux, disent ceux qui les connaissent, ont la faculté de rester des heures entières à l’état purement végétatif, enveloppés par l’air tiède comme par un bain et ne conservant de la vie que la respiration.

En continuant notre descente vers la mer du côté de Bab-Azoun, en dehors de la porte, nous rencontrâmes des haltes de caravanes, des campements et des hôtelleries arabes : c’est tout ce qu’on peut rêver de plus simple et de plus sauvage. Les hôtelleries sont des espèces de bouges creusés dans la déchirure d’un ravin, de caves déchaussées où l’on grimpe par des degrés chancelants et dont les rebords, suprême magnificence, sont plaqués de quelques poignées de crépi à la chaux ; un bout de tapis éraillé et troué à jour comme un crible, jeté sur une corde tendue en travers ; un lambeau de sparterie qui s’effile ou s’échevèle, procurent aux voyageurs qui viennent de Biskara, de Touggourt ou de plus loin une ombre pailletée de points lumineux, qui leur paraît fraîche encore après les intolérables ardeurs du Sahara. C’est là qu’ils déchirent avec les ongles le mouton rôti et qu’ils hument à petites gorgées la tasse de café trouble, accompagnée de la pipe obligatoire.

Ces établissements somptueux sont réservés à l’aristocratie des voyageurs, aux négociants considérables.