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Il y en avait deux mêlés à un troupeau de ces malheureux petits ânes dont nous avons parlé. Ils étaient accroupis, tout chargés, dans le sable brûlant. Leurs jambes repliées formaient des espèces de moignons rugueux, hideux à voir. Leurs flancs, goudronnés, luisaient sous le lacis de cordelettes et de bâtons destinés à retenir les ballots. L’un d’eux allongeait dans la poussière ce long cou fauve, qui rappelle celui de l’autruche et du vautour, et se termine par une petite tête aplatie comme celle d’un serpent où brille, entre de grands cils jaunes, un œil de diamant noir, où se dessinent des naseaux velus et coupés avec une obliquité sardonique. — L’autre, gravement rengorgé, brochait des babines et paraissait plongé dans les voluptés de la digestion. — Il ruminait. — Quelques touffes de poil roussâtre floconnaient aux environs de la bosse, et faisaient avec les parties rases un contraste qui donnait à l’honnête chameau une vague apparence de volaille à moitié plumée.

Un Arabe, immobile sous le déluge de feu, attendait, appuyé contre son bâton, que les animaux fussent assez reposés pour se remettre en route. Quelle rêverie occupait cet homme dans sa pose de statue ? À quoi pensait-il ? — Nous aurions bien voulu le savoir : à rien, sans