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nant, de sauterelles qui se heurtaient à l’étourdie contre notre figure, contre nos mains ; le pli de notre chemise en était rempli ; nous en faisions tomber de notre poche en tirant notre mouchoir. — La crainte semble inconnue aux sauterelles. On dirait qu’elles n’ont pas le sentiment de la conservation, sentiment qu’on retrouve même chez le mollusque et le zoophyte, au plus bas degré de l’échelle des êtres. Poussées par un souffle inconnu, elles vont et rien ne les arrête. — Les feux allumés pour leur barrer le passage, elles les éteignent ; les fossés, elles les comblent ; les rivières, elles les obstruent par des encombrements de cadavres, et leur nombre n’en est pas diminué : on en détruit des milliers de quintaux métriques sans résultats sensibles. — C’est prodigieux ! et l’on s’étonne de cette fécondité déplorable de la nature dans les espèces malfaisantes.

Les Arabes mangent les sauterelles : ils en font une sorte de conserve au vinaigre et à la graisse. Quelques personnes prétendent que ce n’est pas un mets à dédaigner. Nous avouons n’avoir pas poussé l’héroïsme de la couleur locale jusqu’à constater par nous-même la vérité de cette assertion. Nous aimons mieux croire que les Arabes les mangent plutôt par vengeance que par gourmandise ; nous rangeons ce régal à côté des cuisses