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Une mélancolie sereine s’empare de votre âme ; vous sentez un détachement infini, et vos regards ne se tournent plus qu’à regret vers la terre immobile et morte. La mer, elle, vit et respire ; même dans ses plus grands calmes, elle a des inquiétudes et des frissons ; un cœur toujours ému palpite sous sa poitrine d’azur.

Occupés de cet éternel spectacle, nous n’avions pas fait grande attention à des espèces de larges taches jaunâtres, semblables à des détritus de paille hachée, qui jonchaient le sol et qui de temps en temps se soulevaient comme remuées par un souffle pour aller s’abattre quelques pas plus loin. — C’étaient des sauterelles, dont une colonne en marche venait de tomber sur Alger.

On ne saurait par aucune exagération donner une idée même approximative de leur nombre. La terre en est littéralement couverte, on ne saurait faire un pas sans en écraser ; une canne manœuvrée en l’air au hasard en coupe toujours en deux quelques-unes. Elles forment sur le ciel des nuages roussâtres. Vous voyez à l’horizon un brouillard fauve, c’est une migration de sauterelles qui passe. — Celles-ci étaient jeunes et n’avaient encore que des rudiments d’ailes : aussi allaient-elles moitié sautant, moitié voletant, comblant les fossés.