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se déforment, et deviennent des espèces de moignons obtus, tout au plus propres à la marche. Quelle singulière idée d’atrophier ainsi trois membres au profit d’un seul ! L’histoire parle de conquérants qui faisaient couper le pouce aux guerriers vaincus afin qu’ils ne pussent tenir la rame ni l’épée. Quel est le dominateur inconnu, le tyran victorieux qui nous mutile ainsi ? Quelle antique défaite expions-nous par cette paralysie de presque tous nos moyens d’action ? Qui donc avait peur que nous ne devinssions trop habiles ou trop puissants ? L’habitude d’aller nu-pieds, ou tout au moins de ne porter que des chaussures fort larges, fait que les Orientaux ramassent avec leurs extrémités inférieures, comme une main, toute sorte de petits objets. — C’est une facilité de plus pour MM. les voleurs.

Les Algériens passent pour les plus habiles artistes en broderies de la régence ; ils exécutent, dans ce genre, des choses véritablement étonnantes. Tout le monde connaît leurs petits portefeuilles, leurs étuis à cigares et à parfums en velours rouge ou vert, historiés de lacets et de paillettes d’or, leurs écharpes à fleurs sans envers, leurs cabans et leurs vestes à chamarrures d’un dessin si riche et si élégant, et cette foule de menus ouvrages que leur finesse grossière et leur coquette