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terie ; ils sont d’une habileté merveilleuse ; entre leurs doigts agiles, les fils d’or, d’argent et de soie s’entrelacent sans jamais s’embrouiller ; chaque couleur reparaît à point dans la spirale, les lacs les plus compliqués s’exécutent comme en jouant. Les passementiers d’Alger n’auraient certes pas été obligés d’en venir avec le nœud gordien aux brutalités d’Alexandre ; tout en regardant vaguement ailleurs, ils font des nœuds compliqués, des tresses charmantes, des cordons engageants par lesquels on se laisserait étrangler sans trop de façons. Il serait vrai de dire de ces gaillards-là qu’ils sont adroits comme des singes, car ils emploient indifféremment les mains et les pieds : leur orteil, écarté comme un pouce d’oiseau, leur sert à retenir et à fixer leur ouvrage ; c’est un crochet naturel, une cheville toujours prête qui les aide dans mille occasions, accélère et facilite leur besogne.

Chose bizarre ! Dieu avait fait l’homme quadrumane, la civilisation le fait bimane et même manchot ; car, des quatre instruments de défense et de travail que la nature nous a donnés, il n’y a que la main droite qui serve ; la main gauche languit dans une oisiveté honteuse ; le mot qui la désigne est injurieux : gauche est synonyme de maladroit. Les pieds, comprimés par la chaussure,