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portant des planches ou des poutres, il se fait en idiomes variés une dépense effrayante de blasphèmes et de malédictions. La seule chose sur laquelle on soit unanime, c’est de rouer de coups les malheureuses bêtes. Les âniers les battent, les Biskris les battent, les Français les battent : c’est pitié de les voir s’efforcer de passer avec les paniers qui les élargissent et touchent presque les deux murs de la rue, tout étourdis et tout chancelants sous un déluge de bastonnades, tâchant de mordre de leur sabot écorné le cailloutis brillanté par la chaleur et poli par le frottement. Les harnais s’accrochent, les ballots se heurtent, et plus d’un perd une partie de sa charge ; alors, les vociférations recommencent, et les coups tombent plus drus que jamais.

Beaucoup d’ânes sont aussi employés comme montures. Ceux-là sont un peu moins malheureux. Rien n’est plus drôle à voir qu’un grand diable d’Arabe en draperies blanches enfourché, les pieds traînant jusqu’à terre, tout à l’extrémité de sa bête, presque sur la queue. Souvent il y a devant lui, assis entre ses jambes, un petit enfant de quatre ou cinq ans, qui affecte une gravité de calife sur son divan, et roule ses grands yeux noirs étonnés et ravis.

On se sert aussi de mules portant, en guise de selle,