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paille et des bouts de sparterie qu’ils arrachent en passant. Leur dos, à l’état de plaie vive, saigne sous de grossiers bâts de bois qu’on ne prend pas la peine de rembourrer, et qu’incrustent dans leur chair le poids des cabas remplis de plâtres ou de pierres qui leur pressent les flancs. Les mouches s’acharnent sur leurs blessures, qu’elles avivent, et dont elles pompent le sang. S’ils ralentissent le pas ou s’arrêtent une seconde, haletant sur leurs jambes vacillantes, l’ânier est là par derrière, qui les frappe, non avec le fouet ou la trique, ce serait trop humain, et leur cuir endurci se contenterait de frissonner sous la grêle des horions, mais avec un bâton debout, et cela toujours à la même place, jusqu’à ce qu’il se forme un trou saigneux dans la croupe du pauvre martyr quadrupède.

Beaucoup de nos paysans ne sont pas moins féroces que les Algériens à l’endroit des ânes. Cette barbarie stupide m’a souvent étonné. — Pourquoi traiter ainsi un animal inoffensif, patient, sobre, dur à la fatigue, et qui rend tant d’humbles services ? Quelle est la cause de la réprobation qui pèse sur l’âne en tant de pays ? Serait-ce parce qu’il est utile et coûte peu ?

Quand deux files d’ânes se rencontrent et se compliquent de quelques promeneurs et de quelques Biskris