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ce brouillamini de petites veines et de vaisseaux capillaires, les rues artérielles de la ville moresque, la rue de l’Empereur et la rue de la Casbah. On trouve des différences entre ces longs corridors, si pareils au premier coup d’œil.

Ce qui frappe d’abord le voyageur, c’est l’innombrable quantité d’ânes qui obstruent les rues d’Alger. Tout se porte à âne : les moellons, les gravats, les terres de déblai, le charbon, le bois, l’eau, les provisions de toute espèce. — Ces ânes sont chétifs, pelés, galeux, pleins de calus et d’écorchures, et de si petite taille, qu’on les prendrait pour des chiens, n’étaient leurs longues oreilles énervées qui battent flasquement à chaque pas.

Quelle différence avec ces beaux ânes espagnols au poil luisant, au ventre rebondi, harnachés de fanfreluches et de grelots, et tout fiers de descendre du grison de Sancho Pança ! Être cheval de fiacre à Paris, c’est un sort mélancolique ; mais être âne en Alger, quelle situation déplorable ! — Quel crime expient ces pauvres animaux par ce supplice incessant ? Ont-ils brouté le chardon défendu dans quelque Éden zoologique ? Jamais on ne leur donne à manger ni à boire : ils vivent au hasard des ordures qu’ils rencontrent, des brins de