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servir de modèle à Paul Potter, qui tournaient, non sans quelque inquiétude, leur mufle humide vers le rivage. Elles paraissaient regretter leur plancher, — le plancher des vaches ! — si estimé de Panurge et de tous ceux qui ont connu les affres du mal de mer.

Sur les rives à peine élevées de quelques pouces au-dessus de l’eau se distinguaient des maisons aux toits de tuiles d’un ton vif, des clôtures de planches goudronnées, des rangées d’arbres, et parfois l’ébauche d’un navire en construction avec ses côtes à jour et ses échafaudages rappelant les arcs-boutants d’une église gothique ; des prairies semblaient flotter sur le fleuve comme ces pièces d’étoffe que les teinturiers lavent au fil de l’eau ; de loin en loin, une barque, écartant des oseraies, s’enfonçait, par une saignée latérale, dans un champ qu’elle avait l’air de labourer.

Çà et là, la silhouette d’un vaisseau engagé dans un canal dépassait les verdures d’un jardin ou les toits d’un village, et le ciel immense, léger de ton, brouillé de nuages colorés en blanc par-dessus, en gris bleuâtre par-dessous, posait sur une ligne de terre et d’eau parfaitement horizontale, où les saillies des maisons et des arbres ne faisaient que de faibles bavochures ; c’était très-beau, très-grand et très-étrange dans sa platitude,