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notre vie, nous abandonnions la proie pour l’ombre, et le tableau nous empêchait de voir la nature. Ah ! vieux critique d’art incorrigible que nous sommes ; pendant que nous regardions l’œuvre morte, l’œuvre vivante passait derrière nous : la Hollande, en habits de fête, se promenait au Musée sous la figure d’une jeune fille plaquée d’or comme la reine de Saba. Un casque de vermeil enveloppait sa tête gracieuse, et de ses tempes s’avançaient de mignonnes cornes en spirale, comme si elle eût été fille de Jupiter Ammon ; à ces cornes se balançaient en scintillant de longues pendeloques de filigrane partant d’étoiles d’or à rayons multiples. Un bandeau de dentelles serrait le haut du front, et le visage ressemblait à de la crème rose et blanche, où l’on aurait laissé tomber deux violettes pour faire les yeux.

Elle avait un petit air modeste et charmant ; et, quand elle se penchait vers les tableaux, ses boucles d’oreilles et ses plaques d’or frissonnaient, bruissaient et reluisaient amoureusement le long de ses joues, que colorait la honte ou le plaisir d’être regardée. Mais elle comprit bientôt qu’elle avait affaire à un étranger, et elle s’arrêta avec une virginale assurance, se tournant du côté du jour et souriant dans sa rougeur pour nous permettre