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vivent de la vie immortelle de l’art, spécimen des hommes d’autrefois, et avec une réalité si intense, que leurs contemporains mêmes n’ont pas dû les connaître mieux ; ce sont des faces aux chairs colorées, aux barbiches blondes posées sur des fraises blanches, que fait ressortir un costume noir, et qui semblent dérobées, dans une glace. Vous vous retournez involontairement pour voir si tous ces dignes personnages ne sont pas derrière vous, projetant leur réflexion sur le tableau. Rembrandt n’avait que vingt-six ans lorsqu’il fit ce chef-d’œuvre. Il copiait alors scrupuleusement la nature en plein soleil et ne s’était pas encore enfoncé, à travers des ténèbres rousses, dans cette caverne pleine d’ombres et de rayons qui ressemble plus à l’officine d’un alchimiste qu’à l’atelier d’un peintre. Le Rembrandt de la Haye est le Rembrandt réaliste, auquel nous préférons de beaucoup le Rembrandt visionnaire d’Amsterdam.

Le tribut d’admiration payé aux merveilleuses qualités de l’œuvre, notre ami se permit une critique qu’il a plus que personne le droit de faire, car il s’est penché longtemps sur le marbre noir où l’on étale les cadavres blancs ; il prétendait que le docteur Tulp avait nettoyé et paré trop soigneusement le bras disséqué qui