Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Reisebilder et de l’Intermezzo a semé sa délicieuse fantaisie du Tambour Legrand nous revenaient à la mémoire ; mais, comme ils étaient plus poétiques que topographiques, ils ne nous servaient pas à grand’chose. Enfin nous débouchâmes sur une espèce de place qu’un noir fantôme équestre, l’électeur Johann Wilhelm, à cheval, busqué dans sa cuirasse et coiffé d’une longue perruque de bronze, nous fit reconnaître pour la place du Marché ; ce qui n’avançait pas beaucoup nos affaires. Près de la statue, nous discernâmes un objet de cinq ou six pieds de haut, carré à la base, pointu au sommet, découpant dans la nuit la vague silhouette d’une guérite ; mais, en nous approchant, nous vîmes que la guérite était un soldat prussien dans sa capote grise, et surmonté du casque à paratonnerre : nous avions pris le contenu pour le contenant, le fruit pour l’enveloppe, — voilà tout.

Que pouvait faire à cette heure ce militaire ou plutôt ce vétéran, car il n’avait pas d’armes, en contemplation devant la statue de l’électeur Johann Wilhelm ? Pensait-il aux cuillers d’argent que la noire statue a dans le ventre, et supputait-il le nombre de chopes qu’on pourrait boire avec leur valeur si on parvenait à les séparer du cuivre, comme le petit Henri Heine