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dions ce remue-ménage avec stupeur, et le souvenir de l’arche de Noé, où certes il n’entra pas tant de choses, nous revenait involontairement. Sur le pont volant, trait d’union du navire au rivage, la procession fantastique des portefaix défilait sans intervalle. Traqué par les matelots et les hommes de peine, nous nous retirâmes dans une étroite cabine, près du tambour des roues, où il était permis d’allumer et de réduire en cendre un havane, et, là, adossé contre la paroi peinte en couleur de bois, sur quelques mots du capitaine à propos des lenteurs de la douane hollandaise, nous retombâmes, à travers notre somnolence, dans une rêvasserie bizarre : il nous semblait que le Kœnig était parti, et qu’après une traversée presque sous-marine pendant laquelle les poissons, avec leurs gros yeux orbiculaires, nous regardaient curieusement à travers les vitres du pavillon, il était arrivé enfin à la frontière de Hollande. Là, des personnages singuliers, qui ne nous étaient pas inconnus, apparaissaient sur le pont ; « ils portaient des chapeaux à trois cornes, des gilets pourpres qui leur tombaient presque sur les cuisses, des culottes en peau de daim, des bas rouges drapés, de lourds souliers avec de grosses boucles d’argent, et de longues vestes avec de larges boutons de nacre.