l’eau effleurait la ligne du bordage, et au-dessus de la cabine réservée ou du pavillon (c’est le terme local) où nous nous étions retirés, continuaient les piétinements, les bruits de roulettes, les chocs de coffres interrompant le demi-sommeil fiévreux, plein de cauchemars étranges, qui nous envahissait.
Dans nos ébauches de rêve, nous songions que toutes les marchandises de l’univers entreposées à Dusseldorf se chargeaient sur le Kœnig. Les piles de tonneaux, de jarres, de caisses, s’élevaient à la hauteur du tuyau, qu’elles menaçaient de dépasser ; l’eau écumait sur la vitre des écoutilles hermétiquement fermées, et cependant, d’un funèbre bateau de charbon, éclairé bizarrement par des torches, des hommes noirs, pareils à des diables, jetaient dans la soute ouverte du dampfschiff une provision d’anthracite à faire, sans la renouveler, le voyage de l’autre monde.
De temps en temps, nous montions sur le pont pour secouer notre torpeur, et nous voyions que notre rêve à demi lucide se mélangeait d’une proportion de réalité assez forte ; le chargement allait son train. Pour nous réveiller tout à fait, nous voulûmes allumer un cigare ; mais il était défendu de fumer sur le pont parmi toutes ces denrées inflammables et précieuses. Nous regar-