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continuèrent à se montrer sur les deux rives du Rhin sans que personne s’en souciât.

Gamache et Rabelais auraient pris plaisir à voir cette agape pantagruélique de cinquante pieds de long, où Paul Véronèse, le peintre des banquets, eût pu trouver un sujet de tableau.

Ce dîner, qui se prolongeait indéfiniment, justifiait le vers du poëte :


Toujours par quelque bout le festin recommence !

Nous le pensions terminé, lorsqu’un immense plat de veau aux pruneaux le fit reprendre de plus belle. Le domestique pâle, plus mourant que jamais, replaça de ses mains d’ombre, devant les convives surexcités, du vin, de la bière, de l’eau de Seltz, du café, et se retira en chancelant. Depuis le matin, il avait maigri de deux livres comme un jockey entraîné…

Nous avions quitté la table à l’entrée du veau, et nous pûmes voir le Stolzenfels, dont le roi de Prusse a fait un château tout à fait habitable en le restaurant de fond en comble. Nous avons dit notre goût : nous aimons les ruines ruinées, et le burg ne nous plaît que démantelé, croulant, surplombant l’abîme de sa silhouette ébréchée.