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relevait une seule des pierres tombées, si l’on arrachait le lierre des façades, les arbres poussés dans les chambres, si l’on remettait des nez et des bras aux statues invalides, l’on crierait de toute part au sacrilége.

Commençons par le palais italien d’Othon-Henri. Jamais dévastation si charmante ne ravagea une façade. En crevant les toits et les plafonds, les projectiles intelligents ont donné de l’air à tout le haut de l’édifice ; la dernière rangée de fenêtres encadre maintenant le bleu du ciel et forme comme une galerie à jour d’une légèreté et d’une élégance extrêmes ; dans le trou des boulets ont poussé des lierres, des saxifrages et autres plantes pariétaires dont la fraîche verdure se marie admirablement aux teintes vermeilles de la pierre. Heidelberg n’est pas une ruine noire ; avec ses tons carnés et ses feuillages de velours, elle semble une gigantesque rose moussue.

C’est, dit-on, un élève de Michel-Ange qui dessina cette délicieuse façade, merveilleux bijou de la renaissance qui pourrait servir de devanture à un palais de fée. La mythologie et la Bible s’y donnent la main de la façon la plus amicale : Jupiter, Hébé, Minerve et autres déesses au port triomphant, à la gorge fière, à la cambrure florentine, habitent l’entablement ou les niches