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grandioses et fantastiques comme ces villes imaginaires que l’âme parcourt pendant le rêve.

Quoiqu’il fût tard déjà, après avoir commandé notre souper à l’hôtel du Faucon, le meilleur de Berne, nous nous lançâmes au hasard par la ville, avec un guide chargé seulement de nous ramener, si nous nous perdions, à notre point de départ.

Des arcades basses s’ouvraient au pied des maisons comme des gueules de caverne ; des toits noirs mordaient de leurs déchiquetures singulières le bleu sombre des cieux ; des colonnes se dressaient portant sur leurs chapiteaux des statues pareilles à des fantômes ; des rigoles encadrées de pierres faisaient miroiter au milieu de la rue leurs flaques d’eau brune écaillée de brusques lumières ; quelques points brillants tremblotaient sur une façade encore éveillée, et le long des murailles filait de loin en loin un passant attardé.

Après plusieurs détours dans ce labyrinthe aveugle où le domestique de place, si nous nous égarions, devait représenter le peloton de fil d’Ariane, nous arrivâmes à une sorte de voûte sous laquelle s’enfonçaient les marches d’un escalier. Rien ne nous amuse plus en voyage que d’errer à travers un inextricable lacis de ruelles, que de suivre dans un édifice ténébreux des corridors