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maladie de foie par un empirique des plus singuliers. Cet empirique était un paysan du village de Lyss. Il demandait aux consultants leur nom, leur âge, et ne leur adressait, du reste, aucune question sur leur maladie. Cette formalité remplie, il ouvrait un volet de bois au fond de la chambre, donnant sur un verger, et regardait fixement la campagne. Après une contemplation muette, il se retournait vers le malade et lui dictait une ordonnance d’un effet infaillible ; souvent même, quoiqu’il ne l’eût jamais vu, il lui disait des particularités secrètes sur sa vie ou celle de ses proches. En ouvrant cette fenêtre, ce médecin d’une nouvelle espèce s’adressait-il à quelque esprit familier, invoquait-il les forces mystérieuses de la nature, priait-il seulement Dieu de lui donner l’intuition du mal et du remède ? C’est ce que nous ne saurions décider ; toujours est-il que ce guérisseur inspire une foi aveugle à sa clientèle. C’est peut-être là tout son secret.

Au train dont nous allions, nous eûmes bientôt gagné Aarberg, petite ville très-pittoresque sur l’Aar, où nous devions relayer. On y entre et on en sort par un pont couvert en charpentes enchevêtrées soutenant un long toit. La rivière, sur laquelle nous jetâmes les yeux à travers les madriers, emmenait à la dérive des pièces