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les chevaux, sous le fouet de notre compagnon de route, habitué à rouler vite, prirent une allure tout à fait inaccoutumée en Suisse. Il s’agissait d’être à Berne avant la nuit. La voiture était légère, le chemin pas trop montueux, le temps tout à fait tourné au beau, et nous courions la poste à travers des horizons splendides, comme au temps où il n’y avait pas de chemins de fer. À droite, miroitait le lac de Morat ; au-dessus, dans ce lointain des pays montagneux dont on ne peut calculer la distance, des crêtes et des pics noyés de vapeurs à la base ébauchaient leurs sommets glacés et leurs flancs striés de neige aux lueurs du couchant. Nous ne saurions mieux les comparer qu’à des gazes bleues chiffonnées et lamées d’argent où le paillon s’allume par place sous un rayon de lumière.

On ne devait relayer qu’une fois, et nous laissâmes souffler les chevaux à une grande auberge en forme de chalet, où l’on nous présenta sur un plateau de cette eau de merises (kirschenwasser) claire comme le diamant, froide comme la glace, et qui a un petit goût d’acide prussique ; c’est l’eau-de-vie locale.

Tout en s’extasiant sur la façon de conduire de notre compagnon, le maître de la voiture nous racontait ses petites affaires, et comme quoi il avait été guéri d’une