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moins une invention admirable qui sera dans l’avenir l’honneur éternel de notre siècle. Faire courir une locomotive à travers ce chaos de rochers et d’abîmes est une entreprise de Titans ! La route carrossable elle-même ne les franchit qu’à force de pentes, de montées, de zigzags, et encore, à un endroit, est-elle obligée de forer la roche et de passer sous une arcade. Que diront les aigles et les chamois quand ils verront filer un convoi, aigrette de vapeur au front, dans leurs solitudes prétendues inaccessibles ?

Parmi les alternatives de pluie et de soleil, nous avancions toujours, et bientôt, dans le fond d’une espèce de V gigantesque dessiné par les pentes des deux montagnes formant le col de la vallée, apparut au loin le lac de Neuchâtel, miroitant à travers la vapeur avec des teintes de plomb et de vif-argent.

Cette révélation subite, au tournant d’une route, d’une mer ou d’un lac, produit toujours un grand effet. Ici, les deux pans de montagnes formaient par leurs tons sombres d’admirables coulisses à la perspective.

En débouchant de la vallée après Rochefort, la diligence traverse Boudry et longe le lac jusqu’à Neuchâtel, entre de charmantes villas enfouies dans des