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son torse noueux et difforme comme un tronc de chêne ; sa main rugueuse, plissée aux articulations, se ferme sur un livre couvert d’un parchemin rance, graisseux, sordide, glacé par le pouce de lecteurs à qui l’usage de l’eau est inconnu : c’est affreux et c’est admirable ; toutes les richesses de l’art resplendissent sur cet immonde coquin ; cette crasse, c’est de l’or et de l’ambre en fusion ; ces loques valent la pourpre impériale, toutes ces ordures ont un prix inestimable. Dans ce masque monstrueux plaqué de tons violents, la vie éclate avec une force incroyable. Ces yeux enfouis sous un sourcil en broussaille, noyés dans des pattes d’oie de rides, ont le regard ; cette bouche égueulée a le souffle ; l’air passe dans cette barbe embrouillée et ces cheveux incultes.

Un des chefs-d’œuvre de Velasquez en ce genre, c’est la tableau des Borrachos (ivrognes).

Au centre, on voit au milieu des buveurs un drôle à moitié nu, que le peintre a chargé de représenter Bacchus ; il est assis sur un tonneau, trône chancelant du dieu des ivrognes. Une couronne de pampres ceint sa tête et, trop large, lui tombe presque sur les yeux. — Devant le sacro-saint tonneau est agenouillé un buveur à qui le dieu confère quelque éminente dignité dans la