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ches, où se dessinent des veines gonflées par le sang d’azur des races nobles !

La société des gueux, des mendiants, des voleurs, des philosophes, des ivrognes et de misérables de toute nature dont se compose le monde fourmillant de la bohème, ne lui répugne en aucune manière. Les peintres espagnols ont tous d’ailleurs, à différents degrés, ce robuste amour de la vérité, que rien ne révolte et qui ne recule pas devant le réalisme le plus cruel.

Il faut voir quels affreux drôles, bronzés du hâle, bituminés par la misère, ridés, chassieux, lippus, peuplent ces noires toiles d’une brutalité sublime, d’une laideur idéale.

Quels haillons superbement déchiquetés, et quelle fierté dans ces lambeaux grouillants ! Dans quel rastro Velasquez a-t-il trouvé de semblables guenilles ? Don César de Bazan lui-même, avec « sa cape en dents de scie et ses bas en spirale », est un seigneur triomphant et superbe à côté de ces gaillards-là.

Regardez un peu, s’il vous plaît, ce gueux désigné, on ne sait trop pourquoi, sous le nom d’Ésope ; il paraît à son accoutrement que, dans les idées de Velasquez, l’état de fabuliste ne devait guère être lucratif. Un sac grossier à qui un torchon sert de ceinture enveloppe