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l’aristocratie féodale, les genets au profil busqué, les nains jouant avec les lévriers et les perroquets ; tout ce monde royal que personne n’a compris comme lui !

Par un singulier privilége du génie, ce grand artiste, familier des rois, a peint la dégradation de la vieillesse et de la misère, les trivialités de la vie, avec une force et une intensité dont Ribera pourrait être jaloux : ses mendiants valent ses rois, et ses pauvresses ses infantes.

Cet homme d’une si haute aristocratie, peintre ordinaire des rois, des reines et des infantes, devant qui posèrent si complaisamment Philippe III, Philippe IV, Isabelle de Bourbon, Marguerite et Marie-Anne d’Autriche, le prince don Balthazar Carlos, le comte-duc d’Olivarès et tous les grands personnages de l’époque ; ce Vénitien de Séville, si habile à écraser le velours, à faire miroiter la soie, à brunir les armures, à roussir l’or dans la fournaise ardente de son coloris, à nouer des rosettes de rubans roses et des tresses de perles aux tempes des jeunes infantes, à faire ruisseler la dentelle, la batiste et la guipure par les crevés des manches de satin, manie la boue et la fange sans dégoût, avec amour, comme s’il n’avait pas de délicates mains blan-