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dans le sable lorsqu’ils ne se rattrapaient pas assez vite avec les mains au rebord des tablas. Montès, le grand Montès, que cette solennelle occasion avait appelé dans l’arène, bien qu’il soit riche et marié et retiré du cirque, fit avec ce taureau ce manége de cape où nul torero ne l’a surpassé. Il faut voir l’aisance suprême de Montès, agitant son manteau sur le mufle de la bête furieuse, lui entourant les cornes comme d’un turban, et faisant tourbillonner de mille manières les plis éclatants du taffetas ; puis, lorsque le monstre exaspéré se précipite sur lui, se drapant de la façon la plus majestueuse et l’évitant par un imperceptible mouvement de corps.

Trois paires de banderillas furent posées à ce taureau avec beaucoup de hardiesse et de dextérité. En les secouant pour s’en débarrasser, le pauvre animal fit envoler un nuage de petits oiseaux contenus dans un mince filet attaché à la baguette de la banderilla, et disposé de manière que les mailles se rompent au moindre choc, ou soient tranchées par le fer de l’hameçon lorsqu’on enfonce la baguette. Ces recherches n’ont lieu qu’aux grandes occasions. Les hampes des banderillas ne sont habituellement garnies que de découpures de papier ; cette fois, pour plus de galanterie,