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nous a souvent expliquées sans pouvoir nous les faire comprendre. Deux trois-mâts tâchaient d’arriver avant le coup de canon de fermeture, et se couvraient de toile depuis les bonnettes basses jusqu’aux pommes de girouette. Nous en distinguions les moindres détails, quoique nous en fussions assez éloignés, tant l’air était transparent.

Peu à peu les canots deviennent rares, les rives décroissent et prennent des apparences de nuages ; la solitude se fait sur la mer. Vous n’avez plus de vivant autour de vous que les marsouins, qui semblent vouloir lutter de vitesse avec le navire et exécutent des cabrioles dans le sillage.

Les poëtes ont débité beaucoup de tirades et les prosateurs beurré beaucoup de tartines sur l’immensité de la mer, cette image de l’infini : la mer n’est pas grande ou du moins ne paraît pas telle ; quand vous avez perdu de vue toute terre et que vous êtes, comme on dit, entre le ciel et l’eau, il se fait autour de vous un horizon de six à sept lieues en tout sens qui se déplace à mesure que vous avancez ; vous marchez emprisonné dans un cercle qui vous suit. Les vagues, même lorsqu’elles sont hautes, se déroulent avec lenteur et régularité dans une espèce de rhythme monotone, et ne ressemblent