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voix jaillissant de trente mille poitrines ! Quel torrent de volupté doit inonder le cœur d’un homme qui se sent applaudir ainsi ! Les spectateurs, juchés sur les combles les plus éloignés, répondirent à ce tonnerre comme un écho, et, au risque de se précipiter, se penchèrent encore davantage pour pouvoir saisir quelque profil du héros de la course. Mais ce n’était rien encore.

Le taureau, qui s’était éloigné à la poursuite de quelque chulo, fit sept ou huit pas vers le cheval, s’arrêta, remua deux ou trois fois la tête d’un air songeur, agita par un froncement de peau le fragment de rejoncillo implanté dans son épaule, s’envoya un peu de terre sous le ventre et parut vouloir recommencer l’attaque ; mais subitement, et sans que rien pût faire prévoir un tel dénoûment, il tourna sur lui-même et roula les quatre sabots en l’air en poussant un sourd beuglement. Il était mort.

Romero, en tombant, lui avait enfoncé sa lance jusqu’au cœur, à l’endroit qu’en Espagne on appelle la cruz, et qui se trouve au bout de la raie du dos, à la naissance du cou, entre les deux omoplates. Quand la foule eut compris ce coup miraculeux, à l’enthousiasme succéda la frénésie ; des tonnerres d’applaudissements, des ouragans de bravos éclatèrent de