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VI

Enfin la clef du toril, attachée à une magnifique touffe de rubans, fut jetée du balcon de la reine à l’alguazil, qui l’alla porter au mozo de service.

L’orchestre sonna une fanfare éclatante ; soixante mille yeux se tournèrent simultanément du même côté : la plus jolie femme du monde, au moyen de la plus suprême coquetterie, n’aurait pu obtenir un regard dans ce moment-là.

Les lourdes portes du toril se renversèrent, et il en sortit… deux ou trois bouffées de colombes blanches qui s’éparpillèrent tout effarées comme des duvets emportés par le vent.

Autrefois aussi, en France, au sacre des rois, on lâchait des centaines d’oiseaux, qui voltigeaient sous les voûtes de la cathédrale et finissaient par se brûler les ailes aux cierges de l’autel.

Ce mélange de tendresse et de barbarie, qui fait ouvrir la cage des colombes pour la liberté, et la cage des taureaux pour la mort, forme un contraste assez bizarre et plus naturel qu’on ne pense.