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Sous le balcon royal, la barrière de planches était interrompue et remplacée par un mur de poitrines et de hallebardes : c’est un des priviléges du corps des hallebardiers de la reine ; quand le taureau se dirige sur eux, ils croisent la pique, et, s’ils le tuent, il leur appartient. Le danger qu’ils courent n’est pas très-grand ; ce sont d’anciens soldats, aguerris et bien armés ; mais le sort des alguazils nous paraît beaucoup plus mélancolique.

Un vieil usage, précieusement conservé, car il fait les délices et la joie du peuple de Madrid, veut qu’en ces solennités six alguazils à cheval se tiennent dans la place tout le temps que dure la course, la tête tournée du côté de la reine, et, par conséquent, ne pouvant rien voir de ce qui se passe derrière eux. Ils restent là ainsi, sans autre défense contre les attaques du taureau que leur petite baguette de bois, en proie à toutes les angoisses de la peur, angoisses qui se trahissent par des contorsions et des grimaces que le public, fort peu tendre à leur endroit, accueille avec des sifflets et des éclats de rire. Malgré la sévérité de leurs vêtements noirs, ces pauvres diables sont les gracieux, les niais et les paillasses de cette sanglante comédie.

Les courses royales offrent cette particularité qu’on