Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des martyrs chrétiens dans les tableaux des grands maîtres.

Un de ces fanatiques, âgé à peine d’une vingtaine d’années, s’avança jusqu’à l’endroit où nous étions assis, et, de l’air le plus tranquille du monde, tout en dodelinant sa tête alourdie par un hébétement de béatitude, il se posa sous les aisselles quatre mèches soufrées tout en feu et les promena lentement le long de chacun de ses bras ; une forte odeur de chair grillée nous montait aux narines, et lui, souriant avec un sourire d’amoureuse langueur, marmottait à demi-voix le nom d’Allah !

Un autre, à moitié nu, sec, maigre et fauve, se frappait la poitrine d’une façon si rude, qu’à chaque coup il jaillissait un flot de sang ; près de lui, un de ses compagnons sautait pieds nus sur des tranchants d’yataghans.

Les tarboukas tonnaient sans interruption, les cris des femmes se succédaient d’instants en instants, plus perçants, plus grêles, plus chevrotés que jamais, dépassant en acuité la chanterelle des plus aigres violons ; il n’y avait plus un seul frère debout, tous se roulaient épileptiquement dans un hideux mélange de débris impurs, comme des nœuds de serpents qui se tordent