Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

derrière lui les visions de Smarra et les caprices de Goya, le graveur des épouvantes nocturnes. Des crapauds, des scorpions, des serpents de différentes espèces furent tirés de petits sacs et dévorés vivants par les aïssaoua avec des marques d’indicible plaisir ; ceux-ci léchaient des pelles ou des bêches rougies au feu ; ceux-là mâchaient des charbons ardents ; d’autres puisaient dans des terrines du couscoussou mélangé de verre pilé et de tessons, ou mordaient des feuilles de cactus dont les épines leurs traversaient les joues. J’ai gardé longtemps plusieurs de ces feuilles épaisses et dures comme des semelles de botte qui portaient, découpées à l’emporte-pièce, l’empreinte des dents de ces étranges gastronomes.

Chacun, en dévorant sa dégoûtante pâture, imitait le cri d’un animal, qui le rugissement du lion, qui le sifflement de la vipère, qui le renâclement du chameau, ou poussait des cris inarticulés, spasmes de l’extase, échappements de l’hallucination, appels aux visions inconnues perceptibles pour le croyant seul.

Les plus fervents se couchaient sur des lits de braise comme sur des lits de roses ; et, dans cette position de Guatimozin, leur visage s’illuminait d’une indicible expression de volupté céleste qui rappelait l’expression