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tiales. Les têtes retombaient vers le sol comme des mufles d’animaux, et une fauve odeur de ménagerie se dégageait de ces corps en sueur.

Nous frissonnions d’horreur dans notre coin, mais ce que nous venions de voir n’était que le prologue du drame.

Se traînant sur les genoux ou les coudes, ou se soulevant à demi, les aïssaoua tendaient leurs mains terreuses au mokaddem, tournaient vers lui leurs faces hâves, livides, plombées, luisantes de sueur, éclairées par des yeux étincelants d’une ardeur fiévreuse, et lui demandaient à manger avec des pleurnichements et des câlineries de petits enfants.

— Si vous avez faim mangez du poison, leur répondit le mokaddem, comme le fit Sidi-Mhammet-ben-Aïssa à ses disciples qui s’en trouvèrent si bien, d’après la légende dont cette cérémonie est destinée à perpétuer la mémoire.

Ce qui se passa après que le mokaddem eut fait signe d’apporter les nourritures, est si étrange, que je supplie mes lecteurs de croire littéralement tout ce que je vais leur dire. Mon récit ne contient aucune exagération, d’abord parce que l’exagération n’est pas possible dans la peinture de ce monstrueux délire qui laisse bien loin