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tête et je me sentais, moi aussi, des envies folles de pousser des hurlements. Un cavalier du maghzen, assis non loin de moi, n’y put résister plus longtemps et roula sur la poussière avec des rires et des sanglots nerveux, se soulevant au rhythme pressé, saccadé, haletant des tarboukas ronflant sous une furie de percussion toujours augmentée.

Le désordre était au comble, l’exaltation touchait à son paroxysme. Par la persistance du chant, du tambour et de l’oscillation, les aïssaoua avaient atteint le degré d’orgasme nécessaire à la célébration de leurs rites ; le délire, la catalepsie, l’extase magnétique, la congestion cérébrale, tous les désordres nerveux traduits en sanglots, en contorsions, en roideurs tétaniques convulsaient ces membres disloqués et ces physionomies qui n’avaient plus rien d’humain. La lumière des lampes s’entourait d’auréoles sanglantes dans la rousse brume de poussière soulevée par ces forcenés et ses reflets rougeâtres donnaient un air encore plus fantastique à cette scène bizarre dont le souvenir nous est resté comme celui d’un cauchemar.

Tout cela grouillait, fourmillait, trépidait, sautelait, gloussait, hurlait dans un pêle-mêle hideux. Les mouvements de l’homme avaient fait place à des allures bes-