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aïssaoua, ils chantèrent d’une voix plus forte et plus accentuée. Les joueurs de tarboukas frappèrent leur peau d’onagre avec une vigueur et une activité toujours croissantes. Les têtes des assistants marquaient la mesure par un petit hochement nerveux, et les femmes scandaient l’interminable litanie des vertus et des miracles de Sidi-Mhammet-ben-Aïssa de glapissements de plus en plus rapprochés.

La ferveur de la prière augmentait ; les figures des khouan commençaient à se décomposer ; ils remuaient la tête comme des poussahs ou la faisaient rouler d’une épaule à l’autre ; la mousse leur venait aux lèvres ; leurs yeux s’injectaient, leurs prunelles renversées fuyaient sous la paupière et ne laissaient voir que la cornée ; tout en continuant leur balancement d’ours en cage, ils criaient : « Allah ! Allah ! Allah ! » avec une énergie si furibonde, un emportement de dévotion si féroce, d’une voix si sauvagement rauque, si caverneusement profonde, que l’on aurait plutôt dit des rugissements de lions dans un antre affamé, que les articulations de voix humaines. Je ne conçois pas comment leurs poitrines n’étaient pas brisées par ces grommellements, formidables à rendre jaloux les fauves habitants de l’Atlas.

Le rhythme des tambours devenait de plus en plus