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LES MUSIQUES BIZARRES

« Les bayadères de Java viendront-elles à l’Exposition de 1900 ?… »

L’anxieuse question, tous la posent ; car c’est là le point important pour ces fidèles du souvenir. :

Eh bien, la réponse est bonne : les Javanaises viendront ! les Javanaises sont venues !

Cela n’a pas été facile, cette fois-ci, de les obtenir, Le sultan de Solo, leur seigneur, ne voulait pas leur accorder la permission, de s’expatrier ; il n’a cédé qu’à grand’peine à des sollicitations réitérées.

Elles ont donc quitté l’île brûlante, non sans verser quelques larmes, et elles sont là, à présent un peu grelottantes et effarouchées, les gracieuses bayadères de Java. M. L. Lemmens, les a guidées et veille sur elles. Il les préserve de la nostalgie du pays, en leur parlant leur langue, en leur expliquant un peu tout cet inconnu qui les entoure.

C’est dans cet extraordinaire palais du Tour du Monde, au Panorama Animé, imaginé et réalisé, avec un si rare bonheur, par Louis Dumoulin, le jeune et célèbre peintre du Ministère de la Marine, que les Javanaises sont visibles.

Cette fois le décor ajoute encore au charme des étranges danseuses et on peut dire aussi qu’elles embellissent Le paysage en lui donnant la réalité de la vie.

Bien que Java soit assez loin du Cambodge, la pagode d’Angkor est le fond qui convenait 18 mieux à ces jeunes femmes, si ressemblantes aux apsaras de pierre, sculptées par milliers, du haut en bas de l’immense temple : car leur parenté avec l’Hindoustan brahmanique est de toute évidence, Elles sont musulmanes, peut-être, puisqu’elles appartiennent à un sultan ; mais leurs convictions secrètes ont des attaches plus lointaines. Elles sont persuadées, sans doute, comme beaucoup des habitants de Java, qu’elles descendent du Dieu Vichnou ; l’air de famille est indéniable ; avec leur carnation toute dorée par le soleil, leur visage, un peu large, aux longs yeux demi-clos, leur bouche épaisse au mystérieux sourire, elles rappellent étonnamment les images du Dieu.