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bien des fois que vous ne pouviez souffrir les yeux bleus ; mon teint est brun, et, si je suis pâle, ô Rodolphe c’est que je vous aime et que je souffre. Si vous avez fait la cour à cette femme, c’est parce qu’elle avait un teint brun et des yeux noirs. J’ai tout cela, Rodolphe, je suis plus jeune qu’elle, et je vous aime plus qu’elle ne peut vous aimer ; car son amour est né dans les rires, et le mien dans les larmes, et cependant vous ne faites pas attention à moi ; pourquoi ? parce que je suis votre servante, parce que je veille sur vous nuit et jour, parce que je vais au-devant de tous vos désirs, et que je me dérange vingt fois dans une heure pour satisfaire vos moindres caprices. Il est vrai que vous me jetez au bout de l’année quelques pièces d’argent ; mais, croyez-vous que de l’argent puisse dédommager d’une existence détournée au profit d’un autre, et que la pauvre servante n’ait pas besoin d’un peu d’affection pour se consoler de cette vie toute de dévouement et d’amertume ? Si j’avais de beaux chapeaux et de belles robes, si j’étais la femme d’un notaire ou d’un agent de change, vous monteriez la garde sous mon balcon, et vous vous estimeriez heureux d’un coup d’œil lancé à travers la persienne.

rodolphe. — Je ne suis pas assez platonique pour cela. Je t’aime plus, étant ce que tu es, que la plus grande dame de la terre. C’est convenu, tu restes ?

mariette. — Et madame de M*** ? vous savez ce que j’ai dit.

rodolphe. — Qu’elle aille au diable ! je romps avec