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madame de m***. — Tout cela est fort joli ; en honneur, Rodolphe, vous n’avez pas le sens commun.

(Ici Rodolphe lui prouve que, s’il n’a pas le sens commun, il rachète ce léger défaut par les plus brillantes qualités.)

madame de m***, tout émue et bégayant. — Ah ! Rodolphe ! si vous vouliez être comme tout le monde, vous seriez charmant.

rodolphe, ne perdant pas de vue son idée. — Cyprienne, je t’en supplie, mords-moi !

(Il est notoire, par la ballade de Barcelone, le poëme d’Albertus, et autres poésies transcendantes, que les amants romantiques se mangent à belles dents, et ne vivent d’autre chose que des biftecks qu’ils se prélèvent l’un sur l’autre, dans les moments de passion. Je hasarderai pourtant cette observation à messieurs les poëtes et prosateurs de la nouvelle école, que rien n’est plus classique au monde que cela ; on connaît le memorem dente notam du sieur Horace, et, si l’on ne craignait de paraître insolemment érudit, on rapporterait ici deux cents passages de poëtes latins et grecs, où il est question de morsures et d’égratignures.)

madame de m***. — Je vais t’embrasser, si tu veux (elle l’embrasse), mais je ne te mordrai pas, je t’aime trop pour te faire du mal.

rodolphe. — Du mal ! Ah ! qu’un coup de poignard de toi me serait doux ! Voyons, mords-moi ; qu’est-ce que cela te fait ?

madame de m***. — S’il ne faut que cela pour te