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près, selon son habitude, que son nez était à sa place ordinaire, qu’il ne lui était pas poussé de cornes pendant son sommeil, il se sentit soulagé d’un grand poids, et entra dans une merveilleuse sérénité d’esprit. Du miroir, ses yeux se portèrent par hasard sur un almanach accroché à un clou doré au long de la boiserie, et il vit, ce qui le surprit fort, car c’était le personnage le moins chronologique qui fût au monde, que c’était précisément le jour de sa naissance, et qu’il avait vingt et un ans. De l’almanach, son regard tomba sur un rouleau de papier tout humide, tacheté d’encre et bosselé de caractères informes : c’était la dernière feuille d’un grand poème qu’il avait sous presse, et qui devait immanquablement faire reluire son nom entre les plus beaux noms.

Rodolphe, à cette triple découverte, se prit à réfléchir fort profondément.

Il résultait de tout ceci qu’il avait de grands cheveux noirs, des yeux longs et mélancoliques, un teint pâle, un front assez vaste et une petite moustache qui ne demandait qu’à devenir grande : un physique complet de jeune premier byronien !

Qu’il était majeur, c’est-à-dire qu’il avait le droit de faire des lettres de change, d’être mis à Sainte-Pélagie, d’être guillotiné comme une grande personne, outre le glorieux privilège d’être garde national et César à cinq sous par jour, s’il attrapait un mauvais numéro !

Qu’il était poëte, puisque environ trois mille li-