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de main à son camarade, il prit quelques brins d’un tabac blond et doré contenu dans une boîte de laque, les entoura d’une feuille de papel qu’il détacha de son carnet, et remit le tout au candide Daniel, qui n’osa pas refuser. Le pauvre Jovard, qui n’avait jamais fumé de sa vie, pleurait comme une cruche revenant de la fontaine, et avalait patriarcalement toute la fumée. Il crachait et éternuait à chaque minute, et l’on eût dit un singe prenant médecine, à voir les plaisantes contorsions qu’il faisait. Quand il eut fini, Ferdinand l’engagea à bisser ; mais il n’y réussit pas, et la conversation revint au sujet de la veille, à la littérature. En ce temps-là on parlait littérature comme on parle aujourd’hui politique, et comme autrefois on parlait pluie et beau temps. Il faut toujours une espèce de sujet, un canevas quelconque pour broder ses idées.

En ce temps-là, on était possédé d’une rage de prosélytisme qui vous aurait fait prêcher jusqu’à votre porteur d’eau, et l’on vit de jeunes hommes employer à disserter le temps d’un rendez-vous qu’ils auraient pu employer à toute autre chose. C’est ce qui explique comment le dandy, le fashionable Ferdinand de C*** ne dédaigna pas user trois ou quatre heures de son précieux temps à catéchiser son ancien et obscur camarade de collège. En quelques phrases, il lui dévoila tous les arcanes du métier, et le fit passer derrière la toile dès la première séance ; il lui apprit à avoir un air moyen âge, il lui