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La sonnette annonça qu’on levait le rideau. Ferdinand jeta sa carte à Daniel Jovard, et s’esquiva en l’invitant à le venir voir. Un instant après, sa déesse vint le rejoindre dans son avant-scène, ils levèrent les stores et… Mais c’est l’histoire de Jovard et non celle de Ferdinand que nous avons promise au lecteur.

Le spectacle fini, Daniel s’en retourna à la boutique paternelle, mais non pas tel qu’il en était sorti. Pauvre jeune homme ! il s’en était allé avec une foi et des principes ; il revint ébranlé, flottant, mettant en doute ses plus graves convictions.

Il ne dormit pas de la nuit ; il se tournait et se retournait comme une carpe sur le gril. Toutes les choses qu’il avait adorées jusqu’à ce jour, il venait de les entendre traiter légèrement et avec dérision ; il était exactement dans la même situation qu’un séminariste bien niais et bien dévot, qui aurait entendu un athée disserter sur la religion. Le discours de Ferdinand avait éveillé en lui ces germes hérétiques de révolte et d’incrédulité qui sommeillent au fond de chaque conscience. Comme les enfants à qui l’on fait croire qu’ils naissent dans les feuilles de chou, et dont la jeune imagination se porte aux plus grands excès, quand ils sentent qu’ils ont été la dupe d’une fiction, de classique pudibond qu’il avait été et qu’il était encore la veille, il devint par réaction le plus forcené Jeune-France, le plus endiablé romantique qui ait jamais travaillé