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tracte ses infâmes calomnies devant Calixte et M. Desprez, ou je le tuerai.

Le lendemain, dès l’aurore, Dalberg, qui n’avait pas dormi et qui ne pouvait tenir en place, tirait de toutes ses forces le pied de biche ferré d’argent suspendu à la porte de Rudolph.

Un valet à moitié endormi et recouvert à peine des vêtements les plus indispensables vint ouvrir au bout d’une demi-heure, et dit à Dalberg d’un air fort grognon et fort bourru :

— Que diable ! on ne vient pas chez les gens une heure après qu’ils sont couchés ; repassez tantôt.

— Il faut absolument que je parle à votre maître pour une affaire qui ne souffre pas de retard.

— Si c’est pour de l’argent que vous venez, vous avez tort de vous déranger si matin… M. le baron ne paye que le soir.

— Allez porter cette carte à votre maître.

— Je n’ose… il dort de toute la force d’un premier somme. Mon maître a le réveil brutal.

— Trêve de réflexions. Marchez devant moi, je vous suis.

Le ton d’Henri était si impérieux que le domestique ne fit point d’objections.

— C’est vous, Henri, dit le baron, enveloppé à la hâte d’une robe de chambre algérienne, en étendant les bras à se faire craquer les jointures et en bâillant à se décrocher la mâchoire. — Du diable ! si je vous attendais. Il est bien matin pour me parler de vos amours. La soirée d’hier n’a pas arrangé vos affaires. Vous n’avez pas de chance, vraiment, et moi qui me tuais à vanter votre belle conduite à M. Desprez ! Calixte vous en voudra six mois de cette rencontre sur l’escalier.

— Assez de mensonges, de trahisons et de perfidies